Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/82

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femmes en une autre, et les enfans de mesme. Et parce que je vis dix ou douze de ces messieurs les Caraibes qui s’estoyent rangez avec les hommes, me doutant bien qu’ils feroyent quelque chose d’extraordinaire, je priay instamment mes compagnons que nous demeurissions là pour voir ce mystere, ce qui me fut accordé. Ainsi apres que les Caraibes, avant que de partir d’avec les femmes et enfans, leur eurent estroitement defendu de ne sortir des maisons où ils estoyent, ains que de là ils escoutassent attentivement quand ils les orroyent chanter : nous ayans aussi commandé de nous tenir clos dans le logis où estoyent les femmes, ainsi que nous desjeunions, sans sçavoir encor ce qu’ils vouloyent faire, nous commençasmes d’ouir en la maison où estoyent les hommes (laquelle n’estoit pas à trente pas de celle où nous estions) un bruit fort bas, comme vous diriez le murmure de ceux qui barbotent leurs heures : ce qu’entendans les femmes, lesquelles estoyent en nombre d’environ deux cents, toutes se levans debout, en prestant l’oreille se serrerent en un monceau. Mais apres que les hommes peu à peu eurent eslevé leurs voix, et que fort distinctement nous les entendismes chanter tous ensemble et repeter souvent ceste interjection d’accouragement, He, he, he, he, nous fusmes tous esbahis que les femmes de leur costé leur respondans et avec une voix tremblante, reiterans ceste mesme interjection, He, he, he, he, se prindrent à crier de telle façon, l’espace de plus d’un quart d’heure, que nous les regardans ne sçavions quelle contenance tenir. Et de faict, parce que non seulement elles hurloyent ainsi, mais qu’aussi avec cela sautans en l’air de grande violence faisoyent branler leurs mammelles et escumoyent par la bouche, voire aucunes (comme ceux qui ont le