Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/83

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haut mal par-deçà) tomboyent toutes esvanouyes, je ne croy pas autrement que le diable ne leur entrast dans le corps, et qu’elles ne devinssent soudain enragées. De façon que nous oyans semblablement les enfans branler et se tourmenter de mesme au logis où ils estoyent separez, qui estoit tout aupres de nous : combien, di-je, qu’il y eust jà plus de demi an que je frequentois les sauvages, et que je fusse desjà autrement accoustumé parmi eux, tant y a pour n’en rien desguiser, qu’ayant eu lors quelque frayeur, ne sçachant mesme quelle seroit l’issue du jeu, j’eusse bien voulu estre en nostre fort. Toutesfois, apres que ces bruicts et hurlemens confus furent finis, les hommes faisans une petite pose (les femmes et les enfans se taisans lors tous cois) nous les entendismes derechef chantans et faisans resonner leurs voix d’un accord si merveilleux, que m’estant un peu rasseuré, oyant ces doux et plus gracieux sons, il ne faut pas demander si je desirois de les voir de pres. Mais parce que quand je voulois sortir pour en approcher, non seulement les femmes me retiroyent, mais aussi nostre truchement disoit que depuis six ou sept ans, qu’il y avoit qu’il estoit en ce pays-là, il ne s’estoit jamais osé trouver parmi les sauvages en telle feste : de maniere adjoustoit-il, que si j’y allois je ne ferois pas sagement, craignant de me mettre en danger. Je demeuray un peu en suspens, neantmoins parce que l’ayant sondé plus avant il me sembloit qu’il ne me donnoit pas grand raison de son dire : joint que je m’asseurois de l’amitié de certains bons vieillards qui demeuroyent en ce village, auquel j’avois esté quatre ou cinq fois auparavant, moitié de force et moitié de gré je me hazarday de sortir.

Me approchant doncques du lieu où j’oyois ceste chantrerie,