Page:Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.4-1820.djvu/21

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Un instant a souvent changé l'ordre des choses ;

Beaucoup d'événements ont démenti leurs causes :

Mais, attendant l'entrée et l'entretien du roi,

Oyez un accident qui me transit d'effroi.

Je voyais de la tour le choc d deux armées, [35]

L'une et l'autre au combat âprement animées,

Alors de Ménécée arrivant en ce lieu ;

"Adieu, m'a-t-il crié, chère Antigone, adieu ;

Le ciel se lasse enfin de vous être contraire ;

Jouis d'un long repos dans les bras de mon frère." [40]

Moi qui me voyais seule, et qui ne savais pas

Le généreux dessein qui portait là ses pas,

Pour la fuit déjà j'avais tourné la vue,

Quand lui la face ouverte et nullement émue,

Hardi, s'étant planté sur le bord de la tour, [45]

Et voyant sans frayeur les bas lieux d'alentour,

A regardé le camp, et d'une voix profonde

A fait tourner vers lui les yeux de tout le monde :

"Arrêtez, a-t-il dit d'un ton impérieux ;

Arrêtez, je l'ordonne, et de la part des dieux ; [50]

Arrêtez." Cette voix est à peine entendue

Que la main aux soldats demeure suspendue :

Chacun reste interdit, l’œil et le bras levé ;

Le coup demeure en l'air et n'est point achevé.

Là, ce jeune héros pousse une voix moins forte, [55]

Et d'un accent égal leur parle de cette sorte :

"Thèbes, goûte la paix que je vais t'acheter ;

Mon sang en est le prix, je viens te l'apporter ;

Repousse loin de toi cet orge de guerre

Qu'excite un insolent sur sa natale terre ; [60]

Possède en paix tes champs, tes temples, tes maisons,