Page:Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.4-1820.djvu/49

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L'ennui d'un tel malheur ne peut être léger ;

Mais la part que j'y prends le doit bien alléger.

Antigone

Ô prodige ! Ô combat digne de son issue,

Où plus que les vaincus la nature est vaincue, [695]

Où le crime s'est vu par le crime étouffer,

Où l'impiété seule a droit de triompher !

Faites m'en le récit.

Hémon

Votre douleur peut-être...

Antigone

Non, elle est en un point où rien ne peut l'accroître ;

Mes sens par son excès sont demeurés perclus ; [700]

Pour la trop ressentir je ne la ressens plus.

Hémon

Quand leur haine obstinée eut rendu de la reine

Le pouvoir sans effet et la prière vaine,

Et qu'au champ du combat chacun d'eux consentit,

La rage s'y vint rendre, et nature en sortit : [705]

Pareils à deux lions, et plus cruels encore,

Du geste chacun d'eux l'un l'autre se dévore :

Avant qu'en être aux mains ils combattent des yeux,

Et se lancent d'abord cent regards furieux.

Enfin, d'un maintien grave et d'une voix altière, [710]

Polynice tout haut pousse cette prière :

« Ô dieux ! Si quelquefois vous consentez au mal,

Quand il semble ordonné par un décret fatal,

Et qu'on en peut nommer la cause légitime,

Guidez ce bras vengeur et soutenez mon crime : [715]

Après, pour l'expier, à moi-même inhumain,

Dedans mon propre sang je laverai ma main :