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De la sœur d’un martyr, femme d’un apostat,
D’un ennemi de Dieu, d’un lâche, d’un infâme ?

ADRIEN.

Je te vais détromper. Où cours-tu, ma chère âme ?

NATALIE.

Ravir dans ta prison, d’une mâle vigueur,
La palme qu’aujourd’hui tu perds faute de cœur ;
Y joindre les martyrs, et d’une sainte audace,
Remplir chez eux ton rang et combattre en ta place ;
Y cueillir les lauriers dont Dieu t’eût couronné ;
Et prendre au ciel le lieu qui t’étoit destiné.

ADRIEN.

Pour quelle défiance altères-tu ma gloire !
Dieu toujours en mon cœur conserve sa victoire ;
Il a reçu ma foi, rien ne peut l’ébranler,
Et je cours au trépas bien loin d’en reculer.
Seul, sans fers, mais armé d’un invincible zèle,
Je me rends au combat où l’empereur m’appelle ;
Mes gardes vont devant, et je passe en ce lieu
Pour te tenir parole et pour te dire adieu ;
M’avoir ôté mes fers n’est qu’une vaine adresse
Pour me les faire craindre et tenter ma faiblesse ;
Et moi, pour tout effet de ce soulagement,
J’attends le seul bonheur de ton embrassement.
Adieu, ma chère sœur, illustre et digne femme ;
Je vais par un chemin d’épines et de flamme,
Mais qu’auparavant moi Dieu lui-même a battu,
Te retenir un lieu digne de ta vertu.
Adieu : quand mes bourreaux exerceront leur rage,
Implore-moi du ciel la grâce et le courage
De vaincre la nature en cet heureux malheur,
Avec une constance égale à ma douleur.