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NATALIE l’embrassant.

Pardonne à mon ardeur, cher et généreux frère,
L’injuste impression d’un soupçon téméraire,
Qu’en l’apparent état de cette liberté,
Sans gardes et sans fers, tu m’avois suscité :
Va, ne relâche rien de cette sainte audace
Qui te fait des tyrans mépriser la menace.
Quoiqu’un grand t’entreprenne, un plus grand est pour toi ;
Un Dieu te soutiendra, si tu soutiens sa foi.
Cours, généreux athlète, en l’illustre carrière
Où de la nuit du monde on passe à la lumière ;
Cours, puisqu’un Dieu t’appelle aux pieds de son autel,
Dépouiller sans regret l’homme infirme et mortel ;
N’épargne point ton sang en cette sainte guerre ;
Prodigues-y ton corps, rends la terre à la terre ;
Et redonne à ton Dieu, qui sera ton appui,
La part qu’il te demande et que tu tiens de lui ;
Fuis sans regret le monde et ses fausses délices,
Où les plus innocens ne sont point sans supplices,
Dont le plus ferme état est toujours inconstant,
Dont l’être et le non-être ont presque un même instant,
Et pour qui toutefois la nature aveuglée
Inspire à ses enfans une ardeur déréglée,
Qui les fait si souvent au péril du trépas,
Suivre la vanité de ses trompeurs appas.
Ce qu’un siècle y produit un moment le consomme ;
Porte les yeux plus haut, Adrien ; parois homme ;
Combats, souffre et t’acquiers, en mourant en chrétien,
Par un moment de mal l’éternité d’un bien.

ADRIEN.

Adieu, je cours, je vole au bonheur qui m’arrive ;
L’effet en est trop lent, l’heure en est trop tardive !