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Page:Jeanne Landre-Echalote et ses amants 1909.djvu/220

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échalote et ses amants

siennes, entraînées aux soubresauts de la « Mouillette » de la « Tanguette » et de la « Craquette » frôlaient les soupeurs et, en cadence, suivant les accords des crins-crins, s’étreignaient les reins et choquaient leurs coccyx. C’était écœurant et infâme, mais, ainsi qu’il est d’usage chez les gens bien élevés qui s’amusent, tout le monde applaudissait.

De tous les endroits où l’on soupe, la taverne du Moulin Rouge tient le record du luxe, du bruit, de la lumière à profusion et des attractions folâtres. Aménagé en palais, ce souterrain associe la richesse de pacotille à l’architecture en pastillage. C’est un panthéon de cold-cream, un temple engaillardi de fresques chahutantes, un hall d’électricité et de musique, un bazar de poupées empanachées et vivantes où les visiteurs trouvent à boire et à aimer.

Lancé à coups de publicité par le journal, les hommes-sandwich et l’affichage, cet établissement connaît la gloire des habitués millionnaires et du plus huppé demi-monde. Parqués par petites tables fleuries, du tremplin de l’orchestre à la cloison d’un immense aquarium, les fracs batifolent avec les robes décolletées, tandis que les masques rasés de snobs et d’Américains se complètent de cigares bagués et que les doigts scintillants des soupeuses décortiquent des écrevisses et martyrisent des roses. Les bouchons du Cliquot claquent dans l’air ; emmitouflées de serviettes, les bouteilles ventrues trempent dans la glace pilée ; les corbeilles de fruits enluminent les nappes, les foies gras odorants garnissent les assiettes et les

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