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à sa colère, pas raisonnable que tu me dis ! En v’là une mauvaise par exemple ! Ton sapré empire est immense, je n’en disconviens pas, il est même si grand que jamais on en verra la fin. Du bleu, continua l’époux de Philomène Tranchemontagne (de Shawinigan), oui, du bleu ou des nuages, encore des nuages et toujours des nuages. Je ne saurais trop le répéter. Le soleil nous brûle, la lune nous fait la grimace et les étoiles en clignant ont l’air de se moquer de nous. Pas une prairie verte pour reposer nos regards fatigués ni une rivière où nous puissions aller étancher notre soif. Et t’appelles cela un empire, toi, Baptiste 1er, Empereur des Courtemanches qui n’a qu’un seul sujet et qui n’est pas encore capable de lui donner à manger.

Baptiste 1er, calme, le considéra quelques instants, puis avec un geste qui eut fait honneur à notre ami Paul Cazeneuve, il lui dit :

« Ingrat, je t’ai tiré du prolétariat pour te créer duc de Ste-Cunégonde et baron des Tanneries, je t’ai élevé à la dignité de ministre, je t’ai fait chevalier grande croix de l’Ordre du Castor, commandeur de l’Ordre Impérial de l’Étoile Polaire, et dans ma magnanimité, comme disent les grands de la terre, j’étais à la veille de te faire prince du Sault-au-Récollet.

« Que l’yable les mène les maudits titres et les vingnennes de médailles, s’écria Titoine de plus en plus furieux. Flanque-z-en à sciaux aux terriens civilisés qui s’épatent de ces riginnes-là, passe un steak pour me fourrer dans l’estomac et toutes tes décorations je les échangerais volontiers pour une bonne platée de fèves au lard.

« Des fèves au lard, dit Baptiste dont les yeux pétillèrent, des fèves au lard comme dans les chanquiers, on ferait en effet bien des bassesses pour une friandise de ce genre.

« Qu’est-ce qui nous empêche d’en avoir et ben d’autres choses avec ? fit Pelquier. Là-bas, au pays, Philias Duval doit nous attendre sur l’Île de la Barbotte Amoureuse. Pourquoi perdre notre temps en quête d’aventures ridicules qui nous avancent à rien ? Pourquoi ne pas retourner au Canada, consentir à ce que nous demandent les Alliés et combattre comme du monde pour la justice et la civilisation ? Ce que nous avons fait ne compte pas. Nous serions même sous l’égide de la Couronne Britannique qu’après tout nous avons tout à y gagner et rien à y perdre. Nous lutterons pour la même cause qui est après tout celle de la civilisation et de la démocratie universelle et pour laquelle doivent combattre tous ceux qui ont le cœur bien placé.