avoir du goudron ou de la graisse, nous devions donc encore recourir aux provisions du navire.
Le premier jour de calme, nous exécutâmes notre projet. La carcasse du navire avait souffert beaucoup et les vagues l’avaient disjointe en plusieurs endroits. Alors, sans scrupule, nous fîmes main basse sur tout ce que nous pensions pouvoir nous être utile : tonnes de goudron, caisses d’habits, portes, fenêtres, serrures, ferrailles de toutes sortes, munitions de guerre, et même petits canons. Pour les gros, il nous fut impossible même de les remuer, et cependant nous ne voulions pas les abandonner, pas plus que trois ou quatre énormes chaudières de cuivre destinées à une raffinerie de sucre. Après avoir fait je ne sais combien de voyages pour emporter les objets cités plus haut, nous attachâmes aux pièces de gros-calibre et aux chaudières plusieurs tonneaux vides, enduits de goudron, hermétiquement bouchés, et qui devaient les soutenir à la surface de l’eau ; puis un baril de poudre fut placé dans la quille du bâtiment, avec un bout de mèche assez long pour pouvoir durer au moins trois ou quatre heures ; j’y mis le feu, et nous nous éloignâmes en toute hâte, nous dirigeant vers la baie du Salut. Outre les canons et les chaudières, je comptais bien que la marée et le vent jetteraient sur notre rivage des poutres, des charpentes et des planches, dont, plus tard, nous pourrions nous servir pour nous bâtir une case.
Ma femme venait de nous servir à souper sur un petit cap avancé d’où l’on apercevait le navire, quand, tout à coup, une terrible explosion retentit, et une colonne de feu s’éleva dans les airs : le navire était détruit : ce navire sur lequel nous avions quitté l’Europe pour venir dans des contrées lointaines et inconnues. Nous ne pûmes nous défendre de tristes pensées ; et les enfants, qui, d’abord, s’étaient promis de la joie de ce spectacle, ne surent que pleurer au souvenir de notre chère patrie.
Le lendemain, nous étions levés avant le jour ; nous nous