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le robinson suisse.

matériel dû à nos découvertes. Chacun d’eux me paraissait trop absolu dans sa manière de voir. Aussi leur fis-je observer que, si nous ne devions pas, d’un côté, considérer la vie comme une succession de tableaux mouvants, semblables, en quelque sorte, aux images que les enfants cherchât dans les kaléidoscopes, de l’autre, rien n’était plus fâcheux qu’une existence toute renfermée et tout inactive : la santé s’étiolait, et le physique imprimait au moral une réaction inévitable qui amenait peu à peu à l’engourdissement des facultés de l’âme.

Du reste, j’avais dans la pensée un travail qui devait occuper tous les bras et nous causer de la fatigue ; mais il me semblait nécessaire : c’était de labourer un champ et de l’ensemencer, de manière à obtenir une récolte régulière. Ce travail nous parut pénible, aussi ne défrichâmes-nous qu’un seul arpent. Il fut partagé en trois parties égales : l’une destinée au blé, l’autre au maïs, la troisième à l’orge. C’étaient les trois genres de grains qui, d’après mes remarques, venaient le mieux dans ces climats chauds. Le reste nos semences fut, comme par le passé, un peu jeté au hasard, avec l’espoir que la Providence le féconderait. De plus, une petite langue de terre fut consacrée à la culture de la pomme de terre et du manioc, ces deux précieux tubercules qui pouvaient suppléer au manque de farine.

Le labourage était pour nous une chose toute nouvelle ; c’était peu de chose de bêcher la terre ou de la sarcler, en comparaison de la fatigue que nous éprouvions à tracer un profond sillon dans son sein. Nous comprîmes alors toute la vérité de cette parole du Seigneur : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » Nos bêtes de somme nous étaient d’un grand secours, il est vrai ; mais, avec une chaleur aussi forte que celle que nous avions, au bout de quelques instants elles s’arrêtaient haletantes et tellement harassées, que nous n’avions pas le courage de les presser davantage.

Aussi je bornai notre journée de labour à quatre heures :