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Page:John Ruskin par Frédéric Harrison.djvu/222

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chagrins. Le pauvre enfant, il ne sait pas vivre, tel était le verdict de son guide suisse. Dans un autre siècle, il aurait pu être un saint ; dans le sien, il donna, sans compter, sa vie, son temps et sa fortune, pour essayer d’éclairer et d’ennoblir la vie des autres… « Ce n’est pas mon labeur qui me rend fou, dit-il quelque part, c’est le sentiment de son inutilité ». Une âme d’une telle sensibilité, agitée par des sympathies si ardentes et des regrets si violents, dans un corps sans cesse en proie aux maladies, un esprit si solitaire et si dédaigneux de l’assistance d’autrui étaient bien marqués d’avance par la destinée pour une cruelle abolition de tout contrôle mental.

Et à ce surmenage cérébral vint s’ajouter un chagrin privé. Le vieillard de soixante-dix ans a touché dans ses souvenirs quelques mots de cette histoire (Præterita, III, 51). En 1858, — il avait alors près de quarante ans et son mariage était rompu, — lorsqu’une dame lui demanda de venir enseigner les premiers éléments du dessin à ses deux filles et à son fils. Il accepta. « Rosie », la plus jeune, une enfant de neuf ans, sortit de la nursery, le regarda fixement et le trouva très laid, « elle lui donna la main à peu près comme un bon chien donne la patte ». C’était une jolie petite fille aux yeux bleus, avec une bouche charmante, de beaux cheveux, tout épanouie, pas mal impertinente et