Page:Joseph Louis de Lagrange - Œuvres, Tome 13.djvu/148

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la lumière ; il y a surtout un excellent Mémoire de lui sur l’aimant dans le Volume de 1766. Au reste, il a quelque chose de singulier dans son maintien et dans sa conversation qui déplaît au premier abord, et je ne suis pas surpris que le roi ne l’ait pas goûté, ayant eu moi-même de là peine à m’accommoder à ses manières. Il était ou du moins il me parut si plein de lui-même, lorsque j’arrivai ici, que je pris le parti de ne pas le fréquenter, mais en même temps de ne laisser échapper aucune occasion de le rabaisser ; cela l’a rendu beaucoup plus traitable, et à présent nous sommes assez bons amis. Il n’a que 500 écus de l’Académie, et, si l’occasion vous venait de lui procurer une augmentation, je vous assure que vous feriez une très-bonne œuvre, car il est certainement un de ceux à qui notre Académie doit le plus[1].

Quant à moi, je suis toujours très-content de mon état et je n’en souhaite que la continuation. Je vous remercie du fond de mon cœur des offres que vous me faites touchant la place de président ; mon amourpropre ne saurait m’aveugler au point de me laisser croire que cette place puisse me convenir, surtout dans les circonstances présentes, et quoique je sois intimement persuadé que l’Académie a grand besoin d’un chef, je ne le suis pas moins de mon insuffisance pour un pareil poste, n’ayant ni le talent ni les autres qualités nécessaires pour le remplir dignement et au gré du roi. D’ailleurs, ma situation actuelle est telle qu’elle ne me laisse rien à désirer ; il est vrai que je suis marié, mais je

  1. Voici ce que, dans une Lettre sans date, mais probablement de janvier 1765, Frédéric II écrivait à d’Alembert :

    « On m’a, pour ainsi dire, presque forcé de prendre la plus maussade créature qui soit dans l’univers pour la mettre dans notre Académie. Il se nomme Lambert, et, quoique je puisse attester qu’il n’a pas le sens commun, on prétend que c’est un des plus grands géomètres de l’Europe. Mais, comme cet homme ignore les langues des mortels et qu’il ne parle qu’équations et Algèbre, je ne me propose pas de sitôt d’avoir l’honneur de m’entretenir avec lui. En revanche, je suis très-content de M. Toussaint, dont j’ai fait l’acquisition. Sa science est plus humaine que celle de l’autre. Toussaint est un habitant d’Athènes, et Lambert un Caraïbe ou quelque sauvage des côtes de la Cafrerie. Cependant, jusqu’à M. Euler, toute l’Académie est à genoux devant lui, et cet animal, tout crotté du bourbier de la plus crasse pédanterie, reçoit ces hommages comme Caligula recueillait ceux du peuple romain, chez lequel il voulait passer pour dieu. Je vous prie que ces petites anecdotes de notre Académie ne sortent pas de vos mains. » (Œuvres de Frédéric II, t. XXIV, p. 392.)