Page:Joseph Louis de Lagrange - Œuvres, Tome 13.djvu/184

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a pris. Elle aurait plutôt à se reprocher trop d’indulgence que trop de rigueur. J’oublie de vous dire que quelques-uns de nos astronomes, ayant calculé des lieux de la Lune d’après les formules de M. Euler, ont trouvé des différences énormes avec les lieux observés.

Toutes ces considérations doivent vous déterminer à nous envoyer une pièce pour le prochain concours, et j’en augure beaucoup mieux d’avance que de tout le fatras de calcul de M. Euler. J’oublie de vous dire qu’il attaque les méthodes connues, en ce qu’on y détermine, dit-il, les équations partielles indépendamment l’une de l’autre ; mais, ou je n’entends rien à ce reproche, ou vous devez voir par le détail ci-dessus que son analyse est dans le même cas et que sa méthode d’approximation pour les intégrales n’a rien de particulier. Pour moi, je ne reviens point de mon étonnement qu’un si grand géomètre ait annoncé si peu de chose avec tant d’emphase, et je suis bien impatient de savoir si vous en jugez de même d’après le détail que je viens de vous faire.

En voilà assez sur M. Euler. Je viens présentement à vous, mon cher ami ; je vois avec frayeur et avec chagrin que vous avez tous les ans une maladie grave, occasionnée certainement par l’excès du travail. Ménagez-vous, je vous en supplie, et n’apprenez point comme moi, par une cruelle expérience, combien il est triste d’être obligé de se priver de toute occupation ; je suis toujours dans ce malheureux état, et il se joint à cela d’autres sujets de chagrin qui me conduisent lentement où vous savez. Si ma fortune me le permettait, j’entreprendrais le voyage d’Italie ; mais cela m’est impossible dans les circonstances présentes, où nos pensions ne sont point payées, et où j’ai bien de la peine à vivre même sans me déplacer et en usant de la plus grande économie. J’ai quelques recherches commencées que je voudrais bien finir avant de descendre aux sombres bords ; mais il n’y faut pas penser. Heureusement, vous dédommagerez la Géométrie avec usure de ce qu’elle perdra en moi, de ce qu’elle a perdu dans Clairaut, et de ce qu’elle est prête à perdre dans Euler et Bernoulli.

C’est avec bien du regret que je n’ai pu encore lire vos deux Mémoires de 1767 ; cela me serait impossible dans la situation où je suis ;