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DE LAGRANGE AVEC D’ALEMBERT

peut-être même lui écrirai-je aussi directement par M. Thiébault, si je le puis avant son départ, qu’on m’a dit être plus proche que je ne croyais. Si je ne le fais pas, je vous supplie de lui faire mon compliment sur sa nouvelle place et de lui dire toute la part que je prends à ses succès très-mérités.

Ce que vous me dites de la situation de votre esprit me cause la plus vive inquiétude, parce que je crains qu’elle n’influe sur votre santé. Je crois que rien ne vous serait peut-être plus utile qu’un voyage, et vous auriez, si j’ose le dire, grand tort de ne pas vous rendre aux invitations pressantes du Roi et aux prières de vos amis ; mais, malgré l’espèce d’assurance que vous m’en donnez, je n’ose presque pas l’espérer. Si vous venez, ne pourriez-vous pas engager, notre ami le marquis de Condorcet à vous accompagner ? Ma joie serait bien complète de pouvoir vous embrasser tous les deux après une si longue absence. Notre Académie aurait doublement à se féliciter de votre venue, et par l’honneur de vous recevoir et par les services que vous pourriez lui rendre, non seulement auprès du Roi, mais aussi de son successeur, qu’on m’a dit ne pas lui céder dans ses sentiments pour vous j’ignore ce qu’il pense de moi, parce que je n’ai eu que très-peu d’occasions de lui parler, et que mon genre de vie retiré et mon caractère éloigné des intrigues m’ont empêché de chercher à m’en procurer davantage. Je ne souhaite rien, sinon qu’il ne me juge pas indigne de la place que j’occupe ; ailleurs je ne devrais peut-être avoir aucune inquiétude là-dessus, mais ici il n’en est pas de même. Si vous venez à Berlin, vous serez à portée de connaître ses intentions et de dire quelques mots en ma faveur si vous ne venez pas et qu’il survienne un changement, à quoi il semble que nous sommes depuis quelque temps fort exposés tous les hivers, oserais-je vous prier d’avance de me recommander à sa bienveillance en lui écrivant sur son avènement à la couronne[1] ? J’ai voulu profiter, pour vous entretenir sur cette matière, de l’occasion de cette Lettre, qui doit vous être remise en mains propres.

  1. La Grange prenait ses précautions de loin, car Frédéric II ne mourut que dix ans plus tard, le 17 août 1786.