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DE LAGRANGE AVEC D’ALEMBERT


Lettre pour vous, ne fût-ce que pour vous faire souvenir de ma tendre amitié et me recommander à la vôtre. Je juge, par ce que le marquis de Condorcet m’écrit, que vous avez reçu aussi mon dernier paquet. Je ne crois pas qu’il y ait rien dans mes derniers Mémoires qui puisse vous intéresser ni même peut-être mériter votre attention, si ce n’est ma démonstration du théorème de Maclaurin. Il serait à souhaiter que la même méthode pût s’appliquer à la détermination de l’attraction des points qui sont hors des trois axes du sphéroïde ; mais, après plusieurs tentatives inutiles pour y parvenir, je me suis convaincu qu’elle est insuffisante pour cet objet. Au reste, il n’y a pas beaucoup de mérite à démontrer des choses dont on est assuré d’ailleurs, et c’est à vous que les géomètres doivent la certitude du théorème en question.

Je suis tout triste de la mort de mon confrère M. Lambert[1] ; c’est une perte irréparable pour notre Académie et pour l’Allemagne en général ; il possédait éminemment le talent rare d’appliquer le calcul aux expériences et aux observations, et d’en extraire, pour ainsi dire, tout ce qu’il pouvait y avoir de régulier. Sa Photométrie, Ouvrage peu connu en France et même en Allemagne, est un vrai modèle dans ce genre de recherches ; il était d’ailleurs assez versé dans le calcul, et il n’ignorait aucune des différentes branches de l’Analyse et de la Mécanique. Les

    substance agit sur l’autre ou démontrer que les forces primitives se déterminent elles-mêmes.

    » Dans le premier cas, on demande en outre :

    » Quelle est la notion distincte de la puissance passive primitive ? Comment une substance peut agir sur l’autre ? Et enfin comment celle-ci peut pâtir de la première ?

    » Dans le second cas, il faudra expliquer distinctement :

    » D’où viennent à ces forces les bornes qui limitent leur activité ? Et pourquoi la même force peut tantôt produire un effet et tantôt ne le peut pas ? Comment, par exemple, quelqu’un peut concevoir distinctement ce dont un autre l’instruit, et qu’il n’a pas pu l’inventer lui-même ? Pourquoi on ne peut pas reproduire dès qu’on le veut les idées qu’on a oubliées, quoiqu’on ait pu les produire autrefois, et que l’axiome subsiste toujours : que du pouvoir et du vouloir réunis l’action doit suivre ? Ou enfin, quelle différence réelle il y a, si la force primitive tire tout de son propre fonds, entre se représenter distinctement une musique savante d’un grand compositeur à laquelle on assiste, la solution d’un problème difficile trouvée par un géomètre du premier ordre, et être soi-même l’auteur de cette musique, de cette solution, ou du moins être capable de composer une musique, de résoudre un problème de la même force, dès qu’on le voudra bien sérieusement ?

  1. Il mourut le 25 septembre 1777 (et non 1771 comme il a été dit par erreur p. 135, note 1).