Page:Joseph Louis de Lagrange - Œuvres, Tome 13.djvu/46

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s’y joindront et que vous me ferez le plaisir d’apprendre à vos amis cette nouvelle littéraire qui en vaut bien une autre. Quand le roi de Prusse la saura (il doit la savoir à présent), il ne manquera pas de dire : Vous l’avez voulu, George Dandin, et il aura raison[1]. Je puis bien dire à mon pays comme Élisabeth dans la tragédie du Comte d’Essex[2] :

Ô vous rois, que pour lui ma flamme a négligés,
Jetez les yeux sur moi vous êtes bien vengés.

Notez que, par des arrangements qu’il serait trop long de vous dire, cette pension de Clairaut, qui était de 3 000 francs et qui ne sera pour moi que de 1 000 francs, se réduit à moins de 400 francs ; c’est pour ce bel objet qu’on commet une injustice criante et absurde. Au reste, je la vois comme je dois la voir ; elle n’a point pris sur ma santé, qui continue toujours à être bonne ; je n’ai pas même encore pris de parti. Je suis curieux de voir combien cela durera, car enfin il faudra bien que le ministre réponde oui ou non mais, quelle que soit sa réponse, la mauvaise volonté (non du roi, mais du gouvernement) est si marquée, que ma reconnaissance sera toujours la même.

Avez-vous lu cette Destruction des Jésuites ? En êtes-vous content ? Les fanatiques des deux partis jettent les hauts cris contre moi : c’est ce que je voulais. J’aime assez le déchaînement ; il m’amuse.

Dites-moi précisément quand vous aurez besoin du Mémoire que je vous ai promis. Je vous tiendrai parole. Vous recevrez incessamment un Ouvrage de M. de Condorcet sur le Calcul intégral[3], qui me paraît excellent et dont je crois que vous serez très-satisfait. Depuis deux mois j’ai travaillé beaucoup aux lunettes et à la théorie de la Lune, et je crois avoir trouvé de bonnes choses sur ces deux sujets. Je vous en

  1. Frédéric lui écrivit, le 20 août suivant : « J’ai été fâché d’apprendre la mortification qu’on vient de vous faire essuyer et l’injustice avec laquelle on vous a privé d’une pension qui vous revenait de droit. » Il ajoute « Je me suis flatté que vous seriez assez sensible à cet affront, pour ne pas vous exposer à en souffrir d’autres, » et continue sur ce ton pour l’engager à venir s’établir à Berlin.
  2. Voir le Comte d’Essex, par Thomas Corneille, acte III, scène II.
  3. Traité du Calcul intégral ; 1765, in-4. Les registres manuscrits de l’Académie date du 22 mai 1765, un Rapport de d’Alembert et de Bézout sur cet Ouvrage.