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DE LAGRANGE AVEC D’ALEMBERT

l’on a pris le parti de différer mon congé, peut-être dans l’idée de me faire faire quelque proposition sous main. Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait déterminé à profiter des bontés du roi de Prusse, ne fût-ce que par la manière dont on en a agi avec moi dans cette occasion. D’ailleurs, je connais assez ce pays par la théorie et par l’expérience pour devoir ne faire aucun fond sur tout ce qu’on pourrait me dire pour me retenir, car je ne doute pas qu’on ne retombât dans les mêmes dispositions à mon égard dès que cette espèce de fermentation serait passée. La raison en est qu’on regarde la science dont je m’occupe comme très-inutile et même ridicule, et qu’on aurait regret à son argent si l’on faisait quelque chose pour un géomètre. J’espère que le retard qu’on apporte à mon congé ne me fera point manquer l’occasion d’un établissement aussi avantageux et aussi honorable que celui que vous m’avez obtenu, et dont-les sciences vous auront peut-être un jour quelques obligations. Je vous laisse le maître de dire au roi de Prusse tout ce que vous jugerez à propos de ma part ; vous connaissez depuis longtemps ma situation, et je vous ai assez expliqué mes sentiments.

J’ai donné commission à un banquier de mes amis de faire retirer à Paris la somme du prix, et je crois qu’il l’aura fait ; ce prix est venu bien à point, comme vous le voyez, car, quoique vous me mandiez que le roi ne manquera pas de subvenir aux frais de mon voyage, il se pourrait néanmoins qu’on attendît pour me rembourser que je fusse arrivé à Berlin. J’ai quelque envie de passer par Paris, ne fût-ce que pour avoir la consolation de vous embrasser ; mais je vous en écrirai plus précisément lorsqu’on m’aura donné mon congé, qu’on ne me retarde que per la dignità. Adieu, mon cher et illustre ami ; vous recevrez par ce même courrier une autre Lettre de moi que je ne vous ai écrite que pour la forme, et de manière que je n’aie rien à risquer quand même elle serait interceptée. Pour celle-ci, je la fais passer par une voie particulière, afin d’éviter tout inconvénient. Quand vous voudrez me répondre, je vous prie d’adresser votre Lettre, garnie d’une double enveloppe, à M. Bouvier, agent du roi de Sardaigne à Lyon, pour M. Martin, banquier à Turin.