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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


soldat, dernier né d’une lignée si illustre, sur leurs cadavres[1].

Ce couplet de mélodrame lui était familier ; la perpétuelle menace de « se faire sauter le caisson » deviendra l’un de ses moyens de trouver de l’argent ; il écrira encore : « L’intolérance stupide d’une famille sans cœur, la conduite immonde de mon oncle, la santé de ma malheureuse femme, la destinée qui attend mes pauvres petites filles et à laquelle je ne puis les soustraire que par un crime, tout cela est au-dessus des forces humaines ; je ne manquais pas de courage, mais je suis à bout de forces morales, comme de ressources matérielles[2]. »

Au surplus, Esterhazy ne sollicite pas un don, mais un simple prêt. Il promet son dévouement éternel, offre, en garantie, une assurance sur la vie et l’héritage de son oncle, âgé de plus de quatre-vingts ans[3]. Comme preuve de ses disgrâces, il joint à sa requête la fausse lettre du vieux Beauval[4].

Rothschild ayant tardé à répondre, Esterhazy envoya à Weil, sur papier pelure, une copie de la lettre qu’il avait adressée au « tout-puissant[5] » financier et le supplia d’intervenir. Celui-ci lui offrit de solliciter le grand rabbin, ce qu’Esterhazy accepta « avec une infinie gratitude ». Il a entendu le rabbin « à la cérémonie faite après la mort d’André Crémieu-Foa, et il a conservé de son discours si élevé le plus respectueux souvenir[6] ». « Dieu veuille que votre amitié, qui me

  1. « Il ne me reste plus qu’un parti à prendre, c’est de tuer les miens et de me tuer avec eux. » (Même lettre.)
  2. Lettre à Weil.
  3. Cass., I, 230, Bertulus, et III, 259. — Lettre du 29 juin 1894.
  4. Il la communiqua à Weil, qui en dépose. (Cass., I, 307.)
  5. Lettre à Alphonse de Rothschild. (Cass., III, 125.)
  6. Lettre à Weil.