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ESTERHAZY


touche si profondément, puisse vaincre mon mauvais destin ! » Et, après une nouvelle tirade sur sa femme et ses enfants : « Je vous jure que je deviens fou. Dieu garde mon plus cruel ennemi de la millième partie de mes souffrances ! C’est trop, vraiment, c’est trop… Mais on m’appelle pour la prise d’armes. »

L’éclatante fanfare sonnait-elle dans la cour de la caserne ? Ou de quelle chambre de fille cet autre Valmont a-t-il écrit sa lettre ?

Il ne fit pas usage, cette fois, de papier pelure, mais du papier officiel, à en-tête, du régiment.

Weil obtint deux mille francs ; Esterhazy remercia le rabbin, en termes émus, « du fond de son cœur[1] ».

Ses notes, au régiment, sont toujours excellentes. En janvier : « Officier très méritant ; caractère droit et énergique ; conduite militaire et privée parfaite[2]. » — Il était brouillé avec sa famille, toujours à la veille d’être saisi par les huissiers ou d’être exécuté à la Bourse, et, bien que père de deux enfants, il vivait en concubinage, avec une fille[3]. — En juillet : « Du coup d’œil, de la décision, du sang-froid. Homme d’action. Esprit essentiellement militaire. » — Les chefs s’inquiétaient seulement de sa santé qui, « par malheur, n’était pas très solide ».

  1. 9 juillet 1894. — L’argent venait des Rothschild, qui croyaient, comme le rabbin lui-même, qu’Esterhazy avait été pour Crémieu-Foa un ami loyal. L’un des chefs de la maison, Edmond de Rothschild, avait été au lycée Bonaparte le camarade d’Esterhazy, qui s’adressa plusieurs fois à lui.
  2. Les notes de janvier 1894 sont signées du lieutenant-colonel Mercier ; celles de juillet du colonel Abria. La mention : « N’a malheureusement pas une santé très solide » est de janvier.
  3. De son propre aveu, depuis 1892. (Cass., I, 707.)