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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


faiteur puissant et, cependant, dépourvu d’énergie. »

Les romans ont peu d’attrait pour cet esprit positif. Il ne peut pas « aller jusqu’au bout du Lys dans la vallée ». Il concède que Balzac est « un génie robuste », mais « vulgaire, incapable de peindre les caractères dont la grâce et la finesse sont les principales qualités ». — Taine raconte « la petite comédie de cet homme de goût, qui, sachant bien le français et nourri dans les classiques », décrète que Balzac écrit mal[1]. Dreyfus est « cet homme de goût » ; il préfère au style de Balzac « la langue admirable » de Paul Bourget. Sa sympathie est « très vive non seulement pour l’écrivain, mais encore pour le fils de son regretté professeur ». — Cependant, sorti du peuple et homme de science, il prend la défense de la démocratie (dont Bourget dit qu’elle prépare les tyrannies), et, surtout, de la science. « Elle ne saurait apporter à l’âme, affirme le philosophe mondain, qu’un breuvage d’amertume. » Dreyfus objecte, du ton un peu plus grave d’un savant qu’un poète provoquerait, à table, chez Philaminte : « Je ferai remarquer à Bourget que la science n’a jamais fait aucune promesse, qu’elle n’a rien à promettre ; elle grandit la moralité de l’homme par les notions exactes des choses ; elle n’est funeste qu’aux esprits mal équilibrés. » On passe à d’autres sujets de conversation ; un autre convive observe que, selon Renan, « l’étude de l’histoire de la littérature remplace en grande partie la lecture directe des œuvres de l’esprit humain ». Dreyfus interrompt : « Je suis désolé de me trouver absolument en contradiction avec Renan. L’émotion morale et intellectuelle ne sera jamais produite que par la lecture directe des chefs-d’œuvre. L’étude de l’histoire littéraire

  1. Nouveaux essais de critique, 80.