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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS
ceux qui dirigent les affaires de notre pays, je suis sûr que tu trouveras des cœurs généreux[1]

La démarche, conseillée par le malheureux, eût été belle à Athènes ou dans l’ancienne Rome ; l’Agora et le Forum se fussent émus ; cent artistes, sculpteurs et poètes, auraient immortalisé l’épouse intrépide. Dans Paris moderne, il eût suffi d’un huissier pour congédier, au seuil des palais nationaux, la mère tragique et ses enfants. Et Félix Faure n’avait nulle envie de risquer, pour un misérable Juif, sa sécurité et sa gloire. Il avait, depuis peu, traité avec Drumont, capitulé devant un nouveau chantage du porte-parole des Jésuites. Drumont, en décembre 1895, avait raconté l’histoire du père de Mme Faure, notaire à Amboise, condamné jadis, par contumace, pour des détournements et des faux. Il réclamait la démission du Président[2]. L’article fit grand bruit ; une telle attaque contre une femme excellente, digne de tous les respects, encore au ventre de sa mère quand le père criminel avait pris la fuite, indigna tous les honnêtes gens ; en masse, sénateurs et

  1. 27 avril, 3 et 27 septembre, 5 octobre 1895.
  2. L’article, du 11 décembre 1895, est intitulé : « Le secret de l’Élysée. » Drumont y commentait le jugement par lequel Belluot avait été condamné, par la Cour d’assises d’Indre-et-Loire, à vingt ans de travaux forcés : « S’il ne s’était pas enfui à Pampelune, le père de la Présidente de la République serait mort au bagne, sous la casaque du forçat. » — Leygues, ministre de l’Intérieur, s’était procuré une épreuve de l’article avant qu’il parût et l’avait portée à Faure qui prit habilement les devants. Il fit dénoncer le coup dans le Figaro, raconter, par Hugues Le Roux, la douloureuse histoire. Cependant Drumont et Delahaye s’étaient trop avancés pour reculer ; l’article annoncé parut dans la Libre Parole. — Zola répliqua à Drumont par un article véhément : « A-t-on jamais assisté à une campagne plus honteuse, plus abominable que la campagne menée depuis quelque temps contre M. Félix Faure ?… Sans doute, il y a eu des rois peu recommandables, fils de