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LE PETIT BLEU


tion ; et l’idée ne lui vient même pas que Lauth cherche à lui suggérer une fraude absurde, — puisqu’elle eût enlevé toute valeur probante à la carte-télégramme, — et, dans l’espèce, irréalisable. En effet, le petit bleu a été si minutieusement déchiré qu’il n’y a pas un morceau assez intact pour supporter un timbre de 24 millimètres de diamètre. Le timbre se fût appliqué sur les bandes gommées à l’aide desquelles Lauth avait recollé ces cinquante petits fragments, ce qui eût suffi pour dénoncer la supercherie[1].

Picquart passe ainsi à côté du piège, sans l’apercevoir. Seulement, comme il croit que le petit bleu est de l’écriture, déguisée, de l’attaché allemand : « En tout cas, dit-il à Lauth, vous pouvez bien témoigner d’où il vient : n’est-il pas de l’écriture de Schwarzkoppen[2] ? » Alors, Lauth, vivement : « Oh ! non, je ne connais pas cette écriture, je ne l’ai jamais vue, je ne puis certifier qu’elle est de Schwarzkoppen[3]. » Ici, Lauth voyait plus juste que Picquart[4].

    cachet. » (I, 619.)Junck dit également (Instr. Ravary, 16 déc. 1897) que c’est Lauth qui, le premier, parla du timbre de la poste ; il ne change de version qu’à l’instruction Tavernier (11 oct. 1898.)

  1. Procès Zola, I, 355, Albert Clemenceau.
  2. Ibid., 298 ; Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart.
  3. Procès Zola, I, 153, 284, Lauth ; I, 298, 325, Picquart ; etc.
  4. Instr. Tavernier, Rapport des experts : « Nous ne voyons pas de raisons sérieuses d’attribuer à une même main le petit bleu et la pièce n° 5. » — Picquart observe (Cass., I, 145) « qu’on a pris, comme pièce de comparaison, une pièce déchirée et reconstituée datant d’octobre 1897, c’est-à-dire d’une époque à laquelle l’affaire a donné lieu à un certain nombre de faux ». De même, à Rennes : « Pourquoi avoir pris cette pièce du 18 octobre 1897, quand on avait tant d’autres écrits de Schwarzkoppen ? » Picquart croit que cette pièce de comparaison a été « préparée » : « Quoi ! on prend une pièce qui est arrivée en pleine période des faux ! » (I, 467.) — Mais l’hypothèse de Picquart est contredite par le récit fait par Schwarzkoppen à Schneider. (Voir p. 244, et Rennes, III, 54, E. Picot III, 476, Paléologue.)