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LE PETIT BLEU


nine qu’il allait « le faire coffrer[1] ». Toutefois, il ne lui attribuait pas encore, dans sa pensée, le crime de 1894 ; il n’en avait encore qu’une intuition indécise et vague[2]. Au contraire, ses officiers tenaient pour certain que son enquête, ses recherches policières avaient pour but de « substituer Esterhazy à Dreyfus[3] ». Ils s’en taisaient devant lui, mais, entre eux, excités par Henry, ne parlaient plus d’autre chose. Picquart, dans l’ombre, ne voyait pas où il allait ; mais les consciences inquiètes sont pareilles à l’œil des oiseaux de nuit.

Henry, quand il connut l’entrevue projetée de Bâle, fut fort troublé. Il savait Cuers au courant de bien des choses, tremblait qu’il n’en sût davantage. Il persuada à Lauth que c’était un provocateur, attendu que Sandherr avait cherché, en vain, à l’enrôler au service français ; c’eût été plutôt une preuve du contraire. Cette nouvelle machination de Picquart ne lui disait rien de bon. À se rendre seul officier à Bâle, Lauth risquait de s’engager dans un fâcheux engrenage[4].

Lauth se laissa troubler ou gagner ; quelques heures avant de partir, il alla trouver Picquart et, vivement, insista pour emmener Henry[5]. « Depuis quelque temps, lui dit-il, vous l’avez tenu un peu écarté des affaires, il en est blessé, mécontent[6]. » Picquart objecta qu’Henry ne parlait pas l’allemand[7], puis con-

  1. Cass., I, 732 ; Rennes, II, 252, Desvernine.
  2. Cass., I, 154, Picquart : « J’avais comme une intuition qu’il pouvait y avoir un lien entre l’affaire Esterhazy et l’affaire Dreyfus. »
  3. Enq. Pellieux, 28 nov., Lauth : « Nous en causions entre officiers. » De même, Instr. Fabre, 30 ; Cass., I, 422, Lauth ; Instr. Fabre, 49 ; Cass., I, 415, 430, Gribelin, etc.
  4. Cass., I, 418, Lauth : « Je craignais d’être roulé, »
  5. Cass., I, 151 ; Rennes, I, 424, Picquart.
  6. Rennes, I, 424, Picquart.
  7. Ibid. : « Cela ne fait rien, dit Lauth, je traduirai. »