Mathieu lui écrivait brièvement : « Il faut que tu vives, que tu résistes[2]. »
Dreyfus, maintenant, regardait la réalité en face, sans illusion, l’âme invaincue, mais « la carcasse » usée, selon le mot de Turenne qui lui revenait à l’esprit. Il lui commandera jusqu’au bout, mais combien de temps encore ? Épuré par la souffrance, il ne met plus son orgueil à la cacher. « J’ai pu pleurer, c’est tout dire… Notre cher petit Pierre me demande de lui écrire ; je ne saurais… Chaque mot ferait jaillir un sanglot de ma gorge… Une de ces nuits, je rêvais à toi, à nos enfants, à notre supplice, à côté duquel la mort serait douce ; j’en ai hurlé de douleur dans mon sommeil… » Il retient « de toute son énergie ce qui lui reste de force », mais avoue qu’il est très affaibli. « Ce n’est pas un reproche que je veux te faire, mais je vous trouve bien longs dans cette mission suprême[3]. » Le 5 mai, il note sur son journal : « Je n’ai plus rien à dire ; tout se ressemble dans son atrocité. » Et il arrête son journal pendant plus de deux mois. Bonheur et malheur semblaient avoir également sombré derrière lui ; il avait la sérénité des mourants.
Ces lettres déchiraient le cœur de Mathieu. La sagesse lui commandait d’attendre encore ; mais si la mort, elle, n’attend pas !
Plus d’une fois, Dreyfus a expliqué, avec beaucoup de sens, qu’il ne faut pas espérer du hasard « la