qu’alors, pourquoi l’un de ceux qui l’y ont tenue cachée l’en fait-il sortir aujourd’hui ? Dans le dessein, qu’allègue le journal, de donner à l’opinion qui s’égare une preuve décisive ? Décisive, objecte le juge civil, cette preuve qui a été soustraite à la discussion de l’accusé ! Et Picquart encore, qui dira la vérité quand il aura juré de la dire, Picquart attestera que la pièce secrète est sans valeur, que le bordereau est d’un autre. Donc, Dreyfus a été injustement condamné.
Et cet autre, ce véritable traître, qui le protège ?
De ce que Boisdeffre voit si bien ces dangers, il n’en résulte pas forcément qu’il soit étranger aux révélations de l’Éclair. Quel que soit l’inspirateur de l’article, l’argument ne porte pas, ni cet autre que Boisdeffre, quand l’article parut, était absent de Paris[1]. Du Paty aussi[2] était absent, et Pauffin[3], et Henry[4].
Pourtant, Boisdeffre est bien prudent, et Gonse ne fait rien sans le consulter.
Boisdeffre s’est-il dit qu’il saurait empêcher toute enquête, arrêter Picquart d’un mot, Billot d’un geste ? Il eût fallu être bien sûr de l’un et de l’autre. Alors même, la justice civile reste libre d’informer, puisqu’un délit a été commis ; et ce délit lui appartient, puisque le complice, en tout cas, est un civil.
Le risque est terrible ; il dépasse de beaucoup, pour Boisdeffre, la valeur de l’enjeu. Que lui importent, au fait, ces légères rumeurs des quelques sceptiques qui doutent du crime de Dreyfus ? Que gagne-t-il à révéler celui de Mercier, le sien ?