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LA DOUBLE BOUCLE

XVI

Quand Picquart lui a porté le dossier secret, Boisdeffre n’a pas caché sa surprise : « Quoi ! ce dossier n’a pas été brûlé ! » Mais il n’insiste pas ; le charme est rompu entre Picquart et lui. Si Picquart n’a pas compris de lui-même l’énormité qu’il commet en proposant de reviser le procès de Dreyfus, il est devenu indigne de confiance.

Aussi bien, il n’y a que deux hommes qui savent comment, pourquoi, l’impérative consigne a été violée ; ce sont ceux qui l’ont reçue, Sandherr, miné par la paralysie générale, qui s’éteint au loin, — et Henry.

Il n’est pas (matériellement) prouvé que Boisdeffre fit venir Henry à Paris, avant son départ pour les manœuvres, en secret, à l’insu de Picquart, et l’interrogea lui-même ou le fit questionner par Gonse. Mais croira-t-on que Boisdeffre ne se soit pas informé auprès du seul homme qui le pût renseigner sur cette désobéissance audacieuse, cause directe des imminentes catastrophes ?

Si Picquart et Billot savent que Dreyfus est innocent, c’est par le dossier secret qu’Henry et Sandherr ont reçu l’ordre de détruire et qu’ils n’ont pas détruit.

Henry, pour cette désobéissance flagrante, mérite cent fois d’être brisé. Mais l’ordre, qu’il a enfreint, était de commettre un crime — destruction de registres, actes[1], — et, de plus, révélateur de l’autre crime. Cet ordre même, auquel il n’a pas obéi, le rend intangible.

  1. Article 439 du Code pénal.


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