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HENRY


catastrophe la menace, mille fois pire que la mort (la folie) ». Alors, « voyant venir cette horrible fin », il supplie Jules Roche de faire « un miracle », de le tirer « de cette passe atroce et de ces atroces angoisses », d’émouvoir le ministre « d’où tout dépend, qui n’a même pas eu la franche cruauté de répondre Non dès le premier jour et qui le berne comme on ne bernerait pas le plus vil des laquais ». C’est « une question d’humanité de tenir la parole donnée à Montebello ». « Il voit rouge », au seul nom de Billot. Comment ce chef de l’armée a-t-il le cœur de traiter ainsi « un pauvre diable, méritant somme toute, un soldat estimé et aimé de ses chefs, fils et neveu de glorieux généraux » ? Or, ce soldat va être acculé « à la pire des résolutions », car il est trop ruiné pour pouvoir chercher ailleurs son gagne-pain ; il en est là qu’il ne peut même pas « quitter cette armée où, comme le dit Cassagnac, on ne peut compter ni sur l’équité ni sur la pitié[1] ».

Roche et Montebello renouvelèrent alors leurs instances ; Giovaninelli se joignit à Weil pour peser sur l’indolent Saussier ; il obtint du général Millet la promesse qu’il prendrait Esterhazy à la direction de l’infanterie, « bien que n’ayant pas de vacance, si le ministre y consent ». « Ne vous laissez pas aller aux illusions, écrivit Giovaninelli à Esterhazy, mais espérez[2]. »

Mais Billot refusa formellement de laisser entrer Esterhazy au ministère. Il n’avait pas consenti à le faire arrêter ; lui demander de nommer un traître, c’était trop.

  1. Cass., I, 702, lettre à Jules Roche.
  2. Lettre de Giovaninelli à Esterhazy, du 4 octobre 1896 ; la copie de cette lettre, de la main de Weil, fut remise par Billot à la Cour de cassation (I, 555).