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SCHEURER-KESTNER


De sorte que l’adresse du petit bleu, regardée à la loupe, diffame Picquart, mais qu’examinée par un chimiste, elle condamne Henry.

Une activité infatigable, la fièvre, une terreur secrète le dévoraient. Quoi qu’il fît, il ne se sentait pas en sûreté. Les remparts de faux qu’il avait construits lui semblaient toujours trop bas ; il y ajoutait sans cesse. Le beau-père d’Esterhazy, le marquis de Nettancourt, étant mort le 4 janvier 1897, Henry découpa dans l’Éclair du lendemain la notice nécrologique du vieux gentilhomme[1] et, l’ayant datée, au crayon rouge, du 5 janvier 1896[2], il la classa en tête du dossier d’Esterhazy que Picquart avait remis à Gonse[3].

    fourberie, ni qu’Henry se soit servi de l’encre de Lauth avec l’arrière-pensée d’accuser, le cas échéant, son camarade. Il prit, tout naturellement, l’encre de Lauth.

  1. « Le marquis de Nettancourt-Vaubecourt est mort hier matin en son château de Nettancourt, dans la Meuse. Il était le chef d’une des plus anciennes et des plus illustres maisons de la vieille chevalerie de Lorraine… etc. » La notice est évidemment d’Esterhazy lui-même.
  2. La fraude fut découverte par le commandant Tavernier au cours de son enquête ; le général Gonse, interrogé, reconnut aussitôt que l’annotation était de l’écriture d’Henry : « Je suis, dit-il, surtout frappé par l’allure graphique des chiffres et particulièrement, par celle du 9. » (2 novembre 1898.) Dans une déposition suivante, Gonse explique « qu’il est fort possible que ce soit en raison du changement très rapproché du millésime qu’Henry ait commis une erreur d’année dans la notation au crayon, la mort du marquis de Nettancourt datant de janvier 1897. » Il ajoute : « L’entrefilet, qui m’a été remis par Henry, ne m’a certainement pas paru avoir une grande importance, car, s’il en avait été autrement, j’aurais joint à cet entrefilet une note explicative, comme je le faisais d’habitude quand les affaires avaient un certain intérêt. » (10 novembre 1898.) — Picquart observe que l’article est encadré au crayon rouge, « ce qui ne se faisait, au bureau, que pour les choses importantes ». (Cass., I, 147.)
  3. Le dossier porte cette mention : « 28 novembre 1896 ; dossier secret constitué en 1896 par le lieutenant-colonel Picquart


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