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LA COLLUSION


nant : « Voilà où nous en sommes[1]. » Henry, se tournant vers Du Paty : « Vous comprenez ce que parler veut dire[2]. » Du Paty a compris « qu’il y a une initiative à prendre[3] », mais il réfléchit.

Henry, tout de suite, avec sa tranquille audace accoutumée, passa outre. Il était indispensable à ses combinaisons qu’Esterhazy pût se dire averti par un autre que par lui des projets de Scheurer. Il rédigea en conséquence, selon la combinaison même qui venait d’être rejetée par Billot, une lettre anonyme, qui sera attribuée par la suite à Du Paty, et qu’il fit recopier — par Lemercier-Picard ou Guénée — en caractères d’imprimerie. Esterhazy la mit dans sa poche. Plus tard, quand il la produira, il attestera qu’il l’a reçue à Dommartin, sur quoi, bouleversé, furieux, il est parti aussitôt, le 20 octobre[4], pour Paris.

  1. Cass., II, 32, Du Paty.
  2. Ibid., 201 : « Je n’appartenais pas au service des Renseignements ; on me fait venir, on me fait faire un acte blâmable en écrivant une lettre anonyme ; j’en conclus qu’on voulait se servir de moi pour prévenir Esterhazy. » Et encore : « Il n’y a pas à se défendre d’être allé au secours d’Esterhazy, du moment où, comme le général Gonse me l’a affirmé, à plusieurs reprises, on avait de nouvelles preuves de la culpabilité de Dreyfus et où on était convaincu de l’innocence d’Esterhazy. » (Rennes, III, 505, commission rogatoire.) — Gonse, à Rennes (II, 165), finit par dire : « Du Paty a agi de sa propre initiative, mais, en définitive, il entendait ce que je disais et je ne lui ai pas caché que je trouvais cette campagne singulière, bizarre et même tout à fait fâcheuse, et que, si Esterhazy était innocent, c’était un piège qu’on lui tendait. » Et encore : « J’explique Du Paty qui est un homme très emballé par les conversations que je tenais devant lui. « — De même Boisdeffre : « J’ai dit à cette époque ma conviction absolue de la culpabilité de Dreyfus ; j’ai dit et j’ai répété très haut qu’il était abominable de vouloir lui substituer un homme de paille, si taré qu’il fût. » (II, 528.)
  3. Cass., II, 201, Du Paty.
  4. Ibid., I, 577, Esterhazy. Il dit qu’il quitta Dommartin le 18, ce qui a été vérifié, « mais qu’on (Henry) lui avait prescrit de dire que c’était le 20 ».