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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Munster, qui avaient été dérobées à l’ambassade, et dont il avait fallu, sur une sommation menaçante de Berlin, restituer les originaux. L’Empereur, dans sa lettre, nommait Dreyfus et, comme par hasard, le terme allemand (Schurke), dont il le qualifiait, correspond à l’expression française (canaille), qui avait rendu fameuse une autre pièce secrète[1].

Le second lot contenait le même nombre de pièces, sept ou huit photographies d’un faux qui apparaît comme une variante perfectionnée de la lettre de l’Empereur allemand à son ambassadeur. Le vrai bordereau avait été écrit sur papier fort ; en outre, le Juif avait inscrit, en regard de chacune des pièces qu’il offrait, des prix qui parurent excessifs à Schwarzkoppen ; l’attaché allemand envoya la missive de l’espion à l’Empereur ; l’Empereur la retourna avec une annotation de sa propre main. Il s’y servait encore du même terme que dans sa lettre à Munster : « Cette canaille (Dieser Schurke) de Dreyfus devient bien exigeante ; toutefois, il faut hâter la livraison des documents annoncés. » C’était signé de l’initiale impériale : W. Puis, ce bordereau annoté tomba aux mains d’Henry. Mercier l’a rendu lui-même à Munster pour éviter la guerre, mais il l’a fait photographier au préalable. Et Sandherr l’a fait copier (moins l’annotation) par Esterhazy, employé secrètement à des besognes mystérieuses[2]. Il

  1. Sur les lettres de l’Empereur allemand, voir t. Ier, 347, etc. — Henry en parla (exactement à cette époque) à Paléologue, le 2 ou le 3 novembre 1897 (Cass., I, 393 ; voir p. 636) ; j’appris, le 5 ou le 6, que Boisdeffre, amené par d’Ocagne, avait fait la même confidence à la princesse Mathilde.
  2. Dès le 4 novembre 1897, la Libre Parole raconte « que la pièce accusatrice dont il a été tant parlé (le bordereau) » n’a pas été produite en original devant le conseil de guerre ; elle constituait « une preuve si accablante de la culpabilité de Dreyfus »