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LA COLLUSION


avait, sous ses ordres, dix officiers et secrétaires ; cependant, il s’est adressé à Esterhazy qui, par hasard, s’est servi de son papier pelure ordinaire et dont l’écriture, par un autre hasard, ressemble si singulièrement à celle de Dreyfus que tout l’État-Major, trois experts et sept juges s’y sont trompés… Mais Sandherr était mort depuis plusieurs mois.

La coexistence de ces deux jeux de faux, dont il sera, par la suite, fait un usage alterné, s’explique par

    que Munster vint, trouver Mercier et le somma de la restituer… Si le ministre refusait, c’était la guerre ; le général Mercier céda. Mais il fit photographier la pièce ; l’original fut rendu, et c’est la photographie qui fut mise sous les yeux des juges ». Drumont tient ce récit « d’un officier général ». Son article fut reproduit, le lendemain, dans l’Intransigeant. — Cette version, comme je l’établirai ultérieurement, fut répandue par Mercier à Rennes, pendant le procès de 1899, avec quelques variantes ; elle détermina le verdict de plusieurs juges à qui furent communiquées les prétendues photographies du faux. — Pour l’« histoire » du bordereau annoté, je suis, de préférence aux versions de 1897, celle qui parut, le 14 août 1899, dans le Gaulois. L’article, inspiré, dicté par Mercier, est intitulé : « Lettre ouverte au général Mercier. » En voici la conclusion : « Vous possédez un des exemplaires de cette photographie et vous l’avez emporté avec vous à Rennes. Ces faits expliquent le quiproquo Esterhazy : il a pu dire avec vérité que le bordereau avait été écrit par lui, et vous avez pu soutenir avec vérité qu’il était l’œuvre de Dreyfus. » Cette lettre fut reproduite par l’Intransigeant et la Libre Parole au 15 ; ces journaux furent envoyés aux juges. Le 14 août, le jour même où la lettre parut, dans le Gaulois, mais avant que ce journal pût parvenir à Rennes, l’un des membres du conseil de guerre posa au général Mercier la question suivante : « N’a-t-on jamais fait l’hypothèse que le bordereau sur papier calque pouvait être la copie d’un bordereau original ? » (I, 149.) Le 16, le lieutenant-colonel Brongniart et le capitaine Beauvais posèrent à Mme Henry une question qui tendait au même but : « Ce papier (du bordereau) que votre mari dépouillait le soir, vous rappelez-vous si c’était un papier épais ? » ; (I, 263.) L’expert Belhomme a, lui aussi, entendu dire qu’il y avait deux bordereaux, mais il ne le croit pas. (II, 569.) — Le 6 septembre 1899, la Libre Parole publia un article intitulé : Les deux bordereaux.