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LA COLLUSION


Gonse, chauffé par Henry, insista avec plus de verbosité et d’abandon. Aussi bien le ministre n’a-t-il défendu que de prévenir Esterhazy par une lettre anonyme ; il n’a point interdit de le faire mettre sur ses gardes par un ami sûr, ou directement, mais en secret, avec les précautions nécessaires. Distinction subtile. Mais il ne faut jamais oublier que le directeur de Boisdeffre est un jésuite ; je tiens de ce jésuite lui-même que Boisdeffre lui a annoncé le complot contre Esterhazy, ancien zouave pontifical, allié aux plus nobles familles, aux mieux pensantes.

Au surplus, pour décider Boisdeffre, qui décidera Du Paty, Henry lui fait envoyer, dans la même matinée, une lettre et une carte-télégramme, nécessairement anonymes[1], mais de plus en plus inquiétantes : « Ester-

    ment lui répondre qu’il pouvait être parfaitement tranquille. » — De même. Gonse ; Du Paty lui ayant demandé l’autorisation de parler à Nettancourt : « Est-ce un homme honorable ? — Oui, il est membre du Cercle. — Alors, on peut lui dire tout naturellement que, si son beau-frère n’a rien à se reprocher, il n’a rien à craindre. » (Rennes, II, 160.) « À quelques jours de là, Du Paty me déclara que M. de Nettancourt, ne voulant plus s’occuper de l’affaire, était parti pour la campagne. » (Cass., II, 197.) Gonse dit encore « qu’il avait formellement défendu à Du Paty toute démarche auprès d’Esterhazy » (Cass., I, 566). — Ces deux dépositions, qui semblent concertées, se heurtent à cette objection : par qui et comment M. de Nettancourt aurait-il su qu’il était question de « substituer », comme dit Boisdeffre, « Esterhazy à Dreyfus » ? Bertulus (Cass., II,. 258) posa la question à Esterhazy qui répondit que son beau-frère n’avait « jamais » été prévenu de la campagne qui allait s’ouvrir contre lui. — La version de Du Paty est bien plus vraisemblable ; elle est confirmée par ce fait que Boisdeffre, plus tard, lui interdit de revoir Esterhazy.

  1. Cass., I, 558, Boisdeffre ; II, 197, et Rennes, II, 158, Gonse. — Roget attribue ces missives à Du Paty (Cass., I, 102). — D’ailleurs, dit-il, « toutes ces histoires n’ont absolument aucun rapport avec l’affaire Dreyfus ; il y a simplement conflit entre Picquart et Du Paty ».