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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la suscription ; et comme, pour être autorisé à faire son trafic, il était tenu à des complaisances envers la police, il ouvrit le pli (ou ce fut l’un de ses employés) et envoya à la Préfecture copie de la lettre[1]. Elle était anonyme, écrite, comme les autres lettres d’Henry, en caractères d’imprimerie, et contenait, contre Hadamard et Mathieu Dreyfus, de violentes menaces : « Un pas de plus et la mort est sur vous deux. » L’original, réexpédié de Lyon, parvint le surlendemain au marchand de diamants[2]. Il comprit que le mystérieux traître savait l’imminence du danger.

Esterhazy, quand il rentra chez sa maîtresse, apprit la visite de l’homme aux lunettes bleues. Il fut ou feignit d’être intrigué, alla, s’il faut l’en croire, s’enquérir à son domicile personnel, attendit toute la soirée. Henry, ou l’un de ses agents, l’avisa que tout allait à souhait. Le lendemain matin, à sept heures, Gribelin revint avec sa lettre. Il prétend qu’il se contenta d’une réponse affirmative transmise par la concierge ; Esterhazy raconte qu’ils allèrent dans un square voisin où l’archiviste lui dit de ne pas se préoccuper et lui indiqua, sur un plan, le lieu du rendez-vous, à

  1. Instr. Ravary, 20 déc. 1897 ; Procès Esterhazy, 142, Mathieu Dreyfus. — Le directeur de l’agence nie que cette indiscrétion ait été commise, soit par lui, soit par son employé ; on comprend l’intérêt « professionnel » de ce démenti. « Ayant pour habitude de ne jamais recevoir de lettre adressée à des personnages en vue », Féret aurait voulu rendre celle-ci ; mais l’inconnu était déjà parti. « D’ailleurs la lettre pouvait être innocente, etc. » (Procès Esterhazy, 164.) Or, c’était Geiger qui avait raconté l’incident à l’un de ses parents, le colonel Croissandeau, qui en informa Mathieu Dreyfus (142). — Selon Croissandeau, « Esterhazy était un client habituel du bureau ».
  2. Procès Esterhazy, 142, Mathieu Dreyfus. — Esterhazy, aux enquêtes et à son interrogatoire, dit que toute cette histoire est mensongère : « Je ne me sers jamais d’une lettre anonyme… etc. » (137.)