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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


par Henry et par d’autres émissaires[1]. Et l’argent (des fonds secrets et de la caisse noire des Jésuites) réchauffa certaines convictions[2]. Henry, sur les fonds du service des Renseignements, avait organisé une « masse noire » dont il était seul à disposer (Voir t. VI, p. 383). On nomma alors les patriotes qui (peut-être sans se vendre) se firent payer ; pourtant, aucune preuve ne fut produite, sauf que, de notoriété générale, ils étaient coutumiers de ces trafics.

Quelques-uns savaient, non seulement que Dreyfus était innocent, mais encore que le traître était Esterhazy : Drumont, Arthur Meyer[3] ; d’autres étaient sincères, vraiment persuadés que les sept juges n’avaient point condamné sans des preuves formelles et que Billot, Boisdeffre, tous ces gens de guerre ne leur mentaient pas. Mais tous manquèrent d’équité, car il eût fallu attendre les explications de Scheurer. En d’autres temps moins endurcis, une telle initiative, si courageuse, on en eût fait honneur à la seule générosité d’âme de celui qui la tentait. Or, toute cette presse l’attribua à une machination savamment ourdie par la famille du condamné et par les Juifs[4].

Scheurer ne connaissait pas Mme Dreyfus, même de

  1. Henry fut vu à l’Écho de Paris et à l’Éclair ; Esterhazy fréquentait depuis plusieurs années à la Libre Parole ; dès le 23 octobre, Desvernine signale qu’il se rendait aux bureaux de la Patrie.
  2. Le commandant Bertin en avait averti Fernand Scheurer. (Voir p. 558.) — Au procès Zola (I, 144), Boisdeffre affirme sous serment : « À ma connaissance, ces articles n’émanent pas des bureaux de la Guerre. J’ai fait une enquête et interrogé les officiers. Je m’en tiens à leur parole. »
  3. Un de ses amis lui porta, avec une photographie du bordereau, des lettres d’Esterhazy ; Meyer constata l’identité des écritures. Il eut la velléité de publier les fac-similés, puis s’en laissa dissuader par un de ses collaborateurs qui m’en a fait l’aveu.
  4. Libre Parole des 2, 4 novembre 1897, etc.; Intransigeant du 31 octobre, des 1, 4, 5 novembre, etc. ; Presse des 5, 8 novembre ; Patrie, Croix, etc.