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LA COLLUSION


parvenir une copie à Boisdeffre[1], et celui-ci, pour que la comédie fût complète, l’en fit blâmer. Saussier reprocha à Esterhazy de n’avoir pas tenu sa promesse de ne plus écrire[2]. La lettre était outrageante : « Vous avez, disait-il à Picquart, soudoyé des sous-officiers pour avoir de mon écriture, détourné du ministère de la Guerre des documents confiés à votre honneur, pour en composer un dossier clandestin que vous avez livré aux amis du traître. J’ai aujourd’hui en ma possession une des pièces soustraites à ce dossier. » Il le sommait de se justifier. Le nom de Picquart était mal orthographié sur l’enveloppe (Piquart)[3] ; malice coutumière d’Henry, trop souvent rééditée. La même orthographe défectueuse fut employée dans un petit bleu anonyme, en majuscules alphabétiques, qui fut adressé à Scheurer : « Piquart est un gredin ; vous en aurez la preuve par le second bateau de Tunisie[4]. »

Esterhazy procéda ensuite à une opération plus importante. (10 novembre.)

D’abord, dans la même matinée, il envoya à Picquart une lettre anonyme et une dépêche. La lettre, écrite en caractères d’imprimerie, était ainsi conçue : « À craindre ; toute l’œuvre découverte ; retirez-vous doucement ; écrivez rien[5]. » La dépêche portait : « Arrêtez le demi-dieu ; tout est découvert ; affaire très grave. Spe-

  1. Cass., II, 96, Enq. Pellieux, Esterhazy.
  2. Ibid.
  3. Procès Zola, I, 291, Picquart.
  4. Mémoires de Scheurer. — La carte (du 9 novembre 1897) fut versée par Leblois à l’enquête Pellieux (Procès Zola, I, 243, 270, Pellieux).
  5. Enq. Pellieux, 27 nov. 1897 ; Procès Zola, I, 292, Picquart. — Toutes les lettres qui lui furent adressées à cette époque furent retenues, sauf celle-ci « qui arriva, seule, avec des journaux ».