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LA COLLUSION


Ranc, expliqua les causes de son long silence. Il y raconta sa conversation avec le ministre de la Guerre, leurs engagements réciproques :

J’ai démontré, pièces en mains (au Ministre), que le bordereau attribué au capitaine Dreyfus n’est pas de lui… Je l’ai mis en garde contre de soi-disant pièces de conviction, plus ou moins récentes, qui pourraient être l’œuvre du vrai coupable ou de personnes intéressées à égarer la justice… Inutilement, j’ai demandé à voir les pièces qui établiraient la culpabilité de Dreyfus. On ne m’a rien offert, on ne m’a rien montré. Cependant, j’avais déclaré que, devant des preuves, je m’empresserais de reconnaître publiquement mon erreur… J’ai prié le Ministre de faire une enquête sur le vrai coupable ; il me promit cette enquête ; depuis lors, j’ai attendu en vain… Malgré l’illégalité, qui paraît certaine, de la production aux juges d’une pièce inconnue de la défense, je n’ai jamais mis en doute la loyauté ni l’indépendance des juges qui ont condamné Dreyfus. Mais des faits nouveaux se sont produits, qui démontrent son innocence ; si, convaincu qu’une erreur judiciaire a été commise, j’avais gardé le silence, je n’aurais plus pu vivre tranquille.

Dans la pensée de Scheurer, cette lettre, préface de la requête en revision, éclairera l’opinion, la fera réfléchir, et aussi le Gouvernement. Elle parut, le 15 novembre, dans le Temps, mais trop tard. Il s’était produit, la veille, un incident qui brusqua mal à propos le dénouement.

L’article d’Arène sur « le Dossier de Scheurer-Kestner » en fut le prétexte[1]. En termes mesurés, il y indiquait les arguments du promoteur de la revision : l’écriture, les lettres de Gonse et de Picquart (sans les

  1. Figaro du dimanche 14 novembre 1897, sous la signature « Vidi ».