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LA COLLUSION


une lettre chaleureuse à Rougemont pour protester contre cette infamie. Mais les journaux du lendemain (15 novembre) exploitèrent l’incident avec rage : « Est-ce que ce vieux misérable va déshonorer, l’un après l’autre, tous les officiers[1] ? »

Son collègue, Le Provost de Launay, antisémite, ancien boulangiste, lui écrivit qu’il allait demander au Sénat la mise immédiate à l’ordre du jour de la loi sur l’espionnage ; à cette occasion, il mettra Scheurer en cause.

Un peu plus tard, Scheurer reçut la visite de Jules Roche, qui lui raconta que, rapporteur du budget de la guerre en 1894, il travaillait alors avec le contrôleur général Prioul. Celui-ci lui parla de Dreyfus : « Mercier est fou, s’était-il écrié, faire une affaire pareille ! Et il n’y a rien ! »

Scheurer ne put retenir cette question : « Pourquoi avez-vous recommandé Esterhazy à Billot ? — Quoi ! s’exclama Roche, subitement éclairé, ce serait lui, cet homme du xvie siècle, ce condottiere fourvoyé ! »

Alors il conta à Scheurer le dernier entretien qu’il avait eu avec Billot au sujet d’Esterhazy.

Il revint de toutes parts à Scheurer que l’incident de la veille était cruellement exploité contre lui. Il pensa d’abord que sa protestation immédiate et sa lettre à Ranc suffiraient à calmer la fièvre de ces agités. Il comprit ensuite que l’heure avait sonné de donner satisfaction à la curiosité de l’opinion. Au Sénat, quand Le Provost de Launay le provoquera, que dira-t-il ?

Il fit donc venir Mathieu Dreyfus, lui expliqua son embarras et lui demanda, à titre de service, de dénoncer lui-même, dès le soir, Esterhazy au ministre de la

  1. Libre Parole, Intransigeant, du 15 novembre 1897.