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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XI

On n’a pas oublié l’aventure de cette dame Cartier, veuve du colonel de Boulancy, qui avait été l’amie d’Esterhazy et avait rompu avec lui. Elle était en difficulté avec sa fille qui avait pour conseil l’avocat Jullemier, homme de beaucoup d’esprit, qui cherchait à arranger le litige. Elle lui rendit visite vers cette époque pour le remercier de ses bons offices, et, l’entretien étant tombé sur Esterhazy, elle dit qu’il était le dernier des misérables, qu’elle avait de lui des lettres atroces et que quiconque les lirait, aussitôt serait édifié sur le bandit. Le lendemain, elle les apporta à Jullemier, toute ravie de l’occasion, et le pria de les montrer à ses amis. On en a déjà lu les principaux passages[1].

Voilà donc ces lettres en circulation. Jullemier s’en va à la chasse avec des camarades à qui il les fait voir. On compare avec des fac-similés du bordereau. C’est la même écriture. Et tous de souhaiter que l’auteur de ces furieuses invectives et du bordereau n’échappe pas au châtiment qu’il a mérité.

Le jour d’après, un des chasseurs fit avertir Scheurer de l’incident ; aussitôt, il se rendit chez Jullemier qui ne fit nul embarras de lui communiquer les lettres. Scheurer engagea l’avocat à les porter à Pellieux : « Il est circonvenu, il s’apprête à innocenter Esterhazy, à laisser à jamais Dreyfus dans son bagne. » Après quelque discussion, Jullemier donna les lettres à Scheurer pour qu’il les montrât lui-même à Pellieux,

  1. Voir t. II, 34, 35, 36, 37.