Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


mais avec l’engagement de les lui rapporter ensuite. Il les rendra à Mme de Boulancy, chez qui le général n’aura plus qu’à les faire prendre, si elle consent, puisqu’elle veut se venger, à ce que sa vengeance serve une bonne cause.

Quand Scheurer, le lendemain, lut à Pellieux les lettres, le général, d’abord, essaya de rire[1]. Puis, sous la parole sévère de Scheurer, il comprit qu’il fallait s’exécuter. Il consulta Bertulus qui l’engagea à faire procéder à une « saisie régulière[2] ». Il s’y résigna. Cependant, le commissaire qu’il envoya chez Mme de Boulancy commença par lui dire qu’elle était libre de brûler ses papiers[3]. Elle les livra.

Le singulier eût été que cette affaire, où il y eut beaucoup d’allées et venues, fût restée secrète. Sans qu’on sache comment, Esterhazy fut averti que ses lettres, dont Mme de Boulancy l’avait déjà menacé, étaient aux mains de ses ennemis, qu’elles allaient être publiées[4]. Il crut à un réveil brusque du vieux bon sens français et se sentit perdu. Henry, ni Boisdeffre, ni personne, ne pourra plus le sauver quand seront connus ses blasphèmes contre l’armée et contre la France. Tézenas, vers la même époque, s’inquiéta, avertit son client : on avait à faire à forte partie ; malgré la bienveillance de Pellieux, il fallait prévoir le pire. Esterhazy eut alors le frisson de l’île du Diable, et

  1. Mémoires de Scheurer.
  2. Procès Zola, II, 87, Pellieux.
  3. Aymard nia l’incident (Temps du 2 décembre 1897).
  4. Il le dit lui-même à un rédacteur de la Patrie, qui, le jour où parurent les lettres, se rendit chez lui à la première heure : « J’étais au courant des manœuvres des amis de Dreyfus ; je suis même persuadé qu’elles vont continuer de se produire. Ces documents sont faux. » (Patrie, antidatée, du 29 novembre.) — À Tézenas, il dit, au contraire, qu’il avait été surpris par la publication des lettres.