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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


résolut de fuir. C’était la veille du jour où Scheurer se rendit chez Pellieux. Il n’y avait plus de temps à perdre. Dès que les lettres auront été livrées, il sera arrêté.

Incapable, en tout temps, de dominer ses nerfs, épuisé, depuis des mois, par les affres sans cesse renaissantes de la peur, il se trahit lui-même par l’excès de son agitation. Il parla d’un voyage à Bruxelles, pour avoir des documents. Les agents, qui le suivaient, avertirent le préfet de police.

La fuite d’Esterhazy eût été désastreuse pour le gouvernement : pourquoi l’avoir laissé en liberté ? La fuite d’un accusé quel qu’il soit, c’est l’aveu ; ici, elle se complique de désertion ; et, de l’autre côté de la frontière, Esterhazy, impunément, dira ce qu’il voudra. Mieux vaut l’arrêter. Ainsi, le gouvernement prouvera son impartialité. Il aura le temps de retourner ses batteries, pendant qu’Esterhazy réfléchira en prison.

Billot convint qu’il ne fallait pas laisser échapper Esterhazy ; Barthou lui demanda de le saisir officiellement de l’incident. Cette conversation entre les deux ministres et le préfet de police eut lieu pendant une soirée à l’Élysée[1]. Billot rentra précipitamment au ministère de la Guerre, écrivit lui-même à Barthou, pour qu’il télégraphiât aux commissaires spéciaux le signalement d’Esterhazy avec l’ordre formel de l’arrêter, s’il essayait de passer la frontière. La dépêche fut envoyée dans la nuit[2].

Cette même nuit, Esterhazy, accompagné de plusieurs amis et d’un rédacteur de la Libre Parole. Gaston Méry, courut en fiacre à travers Paris, comme un fou. Il

  1. 25 novembre 1897.
  2. 26 novembre, deux heures du matin, à tous les commissaires de la frontière, à ceux des ports.