Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

essayait de dépister les agents à ses trousses ; très tard, après minuit, il se colleta avec l’un d’eux, qu’un de ses compagnons mena au poste. Les autres agents perdirent sa trace[1] ; mais il était trois heures du matin ; il ajourna son départ.

Billot, le lendemain, se confessa à Boisdeffre ; Henry, évidemment, expliqua à Esterhazy que la fuite, loin de le sauver, le perdrait sans rémission, puisque, arrêté à la frontière, il ne quitterait plus la prison que pour le bagne.

XII

Les lettres à Mme de Boulancy, publiées par le Figaro. (la lettre « du Uhlan » en fac-similé, en regard du bordereau), causèrent, chez quelques milliers de Français et dans le reste du monde, une vive émotion. Quel drame extraordinaire, avançant à coups de théâtre, où l’imprévu devient la règle ! Le petit groupe des partisans de la Revision crut la bataille gagnée. Qui, jamais, a parlé de l’armée avec plus de haine, de la France avec plus de mépris ? Et ce mépris, cette haine, on les sent sincères. Le misérable ne joue pas les Coriolan. Il assisterait avec joie à une nouvelle invasion ; il la guiderait ; il brûlerait et massacrerait comme il le dit. C’est l’âme d’un traître — et c’est l’écriture du bordereau !

Ces prévisions furent très vite démenties. Vous auriez publié, il y a un mois, une seule de ces lettres : la cause eût été entendue aussitôt. À chacun des millions d’hommes qui l’aurait lue, dans le calme et la réflexion,

  1. Récit du Jour (28 novembre 1897), confirmé par le rapport de la police (dossier de la Cour de cassation).