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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


serait apparue, à la minute, la simple, si simple vérité. Mais ces hommes, qui revivront un jour, sont évanouis. Ils se sont absorbés dans un immense animal collectif qui, du reste, est ivre. Vous lui montreriez Esterhazy livrant, l’un après l’autre, contre autant de sacs d’écus, tous les secrets de la défense nationale à Schwarzkoppen : il ne le verrait pas. Ou, mieux encore, il jurerait que c’est Dreyfus, qui a pris l’apparence d’Esterhazy, lui a volé ses traits comme son écriture.

Henry a deux manières principales de parer les coups : fabriquer des faux et accuser ses ennemis d’en forger. La manœuvre fut promptement réglée. Esterhazy va crier : « Au faux ! » Henry, par Boisdeffre, forcera Billot à lui faire écho.

Le même soir, dans une note officielle où il n’y a de lui que la solennité, Billot annonça que l’enquête, « qui approchait de son terme », allait continuer « pour vérifier l’authenticité des lettres » attribuées à Esterhazy.

Voilà, et par le Gouvernement, ouverte la fissure par où pénétrera d’abord le doute.

Le faux, c’est la question préalable. Les experts prononceront. Cependant, le seul soupçon d’une forgerie arrêtera l’indignation, le dégoût.

L’auteur de la note a tenu à préciser que « Pellieux consacre tous ses soins » à cette vérification ; (elle est donc difficile ?) « Dès que ce travail sera terminé, il prendra ou provoquera, en la plus complète indépendance et l’impartialité la plus absolue, toutes les mesures que pourra comporter la situation. » C’est l’ordinaire office des juges ; mais ils ne l’annoncent pas. À qui s’adresse l’avertissement ? Aux faussaires présumés ou bien à Esterhazy ? Il eût été trop dangereux de le couvrir tout de suite. On eût risqué de heurter l’opinion de front ; mieux vaut l’intoxiquer d’un nouveau poison, l’endormir.