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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


injustes et violents. Ils n’accréditèrent, sciemment, aucun mensonge. La cause qu’ils servaient leur en faisait un devoir et une nécessité.

Aucune désignation n’avait suivi la question : « Qui protège Esterhazy ? » Personne n’avait la preuve que ce fût Boisdeffre. Pour Henry, à peine le connaissait-on de nom ; il semblait un comparse. On commençait à peine à soupçonner Du Paty d’avoir joué le rôle de la dame voilée.

Cette prudente réserve était irritante. Comme au coup d’archet d’un mystérieux chef d’orchestre, les journaux de l’État-Major racontèrent qu’une démarche avait été faite auprès de Méline pour obtenir le renvoi du grand défenseur de l’armée ; puis que Brugère convoitait de lui succéder[1]. C’était pure invention. Le journal de Millevoye se prétendit alors informé (2 décembre) des plans du Syndicat : « On n’a pas encore nommé publiquement le général de Boisdeffre, mais ce n’est qu’une question d’heures… Les amis de Dreyfus tiennent en réserve un brûlot qui sera probablement lancé demain[2]. »

Rien ne vint. Dans l’impossibilité de trouver une calomnie où accrocher une protestation, on se résigna à créer soi-même le mensonge. Le lendemain, la Patrie annonça que la pièce secrète du Syndicat était une dépêche de Boisdeffre à Esterhazy, à l’époque où celui-ci s’était réfugié à Londres : « N’hésitez pas à revenir à Paris, je vous couvrirai quand même. » Le Soir, de Bruxelles, tient la nouvelle d’un « Français de passage à Genève » ; « il ne s’était pas trouvé un seul journal français qui voulût se prêter à cette besogne[3] ».

  1. Patrie, Jour, Dépêche, Libre Parole, Intransigeant du 1er décembre 1897.
  2. Patrie (antidatée) du 3.
  3. Patrie (antidatée) du 4.