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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’au seul Esterhazy ces impudentes inventions. Ils crurent cependant que le document libérateur avait été envoyé à Esterhazy par l’État-Major, pour le rassurer, « comme un cordial[1] ».

III

Non seulement tous les journaux acceptèrent ou feignirent d’accepter comme sincère cette défense d’Esterhazy, — les uns qui épousaient sa querelle (et c’était l’immense majorité, toute la presse à grand tirage et à bon marché), les autres sans oser y contredire autrement que sur des détails, — mais en même temps qu’Esterhazy était célébré comme la victime des juifs, le juif de l’île du Diable était écrasé sous une nouvelle avalanche de mensonges. Le conte de la dame voilée, dès la première heure, jeta l’esprit public en plein merveilleux. La sotte histoire se fût effondrée sous le ridicule si le seul Esterhazy l’avait alléguée ; mais elle a été consacrée officiellement par le ministre de la Guerre. Dès lors, seul le vrai parut invraisemblable, moralement impossible[2], parce que c’eût été trop affreux ; et l’on n’ajouta plus foi qu’à l’absurde. En effet, l’absurde rassurait les consciences qui avaient failli s’inquiéter ; et il s’imposait à tous les bons Français, puisqu’il était contresigné par les chefs de l’armée.

C’était Henry, surtout, qui alimentait la presse[3].

  1. Procès Zola, I, 393, Jaurès.
  2. Écho de Paris du 16 novembre 1897 : « Être Jésus et se voir traiter de Judas, c’est atroce, mais c’est impossible. » Article de Lepelletier.
  3. Guénée portait les communications d’Henry à l’Écho de Paris.