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LE SYNDICAT


Il excelle dans cette partie de son métier. Il prend un document exact et voici un faux ; une parcelle de vérité, et voici une imposture. Par sa fonction, il sait tout des antécédents de l’affaire, et tout de ce qui se passe ou se prépare. Par Esterhazy, il sait le reste. Il combine ainsi, avec des faits réels de trahison, commis par tel obscur espion ou, même, par Esterhazy, des chefs nouveaux d’accusation contre Dreyfus. Ses propres méfaits, il en charge Picquart. On pourrait écrire toute cette histoire rien qu’en transposant ses menteries.

Les journalistes, payés ou sincères, ne mirent pas en doute les récits d’Henry. Il était d’autant moins suspect qu’il cherchait moins à paraître, fuyait la réclame et le bruit autour de son nom. Soldat modeste, il ne demande qu’à rester dans l’ombre où il fait son devoir et renseigne les bons Français. Tout en lui inspire confiance : son origine plébéienne ; — donc, dans ce conflit, il ne défend point des préjugés de caste ; — sa brillante carrière, bien qu’il sorte du rang ; — donc, sa vertu est telle que, dans le royaume même du favoritisme, il a fallu s’incliner devant elle ; — sa fonction de chef du bureau de statistique, du mystérieux service qui préside à l’espionnage ; — donc il est informé de tout ; — et l’absence de tout intérêt personnel dans l’affaire, sa brusquerie de soldat, sa large poitrine, la simplicité affichée de sa vie. Bien plus que ce médiocre Gonse, il est le second, l’adlatus de Boisdeffre, du chef d’État-Major auréolé, intangible, qui incarne l’alliance russe.

Il fut ainsi avéré que le dossier de l’État-Major regorgeait de preuves contre Dreyfus. Le bordereau ne vient plus du fameux panier à papiers ; il a été dérobé par des inspecteurs de police qui, surpris dans leur