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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’un ton bonhomme, l’air d’un portier-consigne qui est gêné d’assister à une querelle entre des chefs. Il l’interrogea sur ses relations avec moi, qui ne l’avais pas vu depuis cinq ans et comme si j’étais le chef du Syndicat.

Picquart lui dit que « les témoins ne sortiraient de terre que si Esterhazy était arrêté ». Il répondit que « les chefs n’avaient pas jugé à propos de le faire ». Il refusa en conséquence de procéder aux recherches et aux confrontations que réclamait le colonel. Quand Picquart lui rapporta que, déjà, en Tunisie, Esterhazy était soupçonné, que le colonel Dubuch, le fils du général de la Rocque, le commandant Sainte-Chapelle en pourraient déposer, il grommela : « Esterhazy, nous le connaissons mieux que vous ! » Mais il ne fit même pas mention de ces indications dans son rapport[1].

Il refusa encore d’ordonner des enquêtes dans les villes où Esterhazy avait tenu garnison, bouscula Mathieu Dreyfus qui insistait : « Vous n’allez pas nous faire un réquisitoire ? » Mais il fit le gracieux avec Scheurer et avec moi.

Il m’arriva d’égarer, dans un compartiment de chemin de fer, ma serviette de député ; les employés[2] la fouillèrent avant de me la rendre. Elle renfermait des documents parlementaires (un rapport sur l’État-Major), des fac-similés du bordereau et de l’écriture d’Esterhazy et de Dreyfus que j’avais fait voir à des collègues. Un « inconnu » signala aussitôt à Tézenas « qu’il avait vu, lui-même, dans ma serviette, des lettres d’Esterhazy découpées, retouchées, maquillées ; dans certaines parties, l’écriture se trouvait surchargée de bandelettes couvertes d’écriture ». L’avocat s’échauffa, conféra

  1. Procès Zola, I, 295, 348, Picquart.
  2. Ceux du train et de la gare de Meaux.