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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


table et sensée, Mathieu Dreyfus décida de tenter l’entreprise. Demange se présentera pour lui à la barre et, pour sa belle-sœur, un jeune avocat que Leblois lui avait désigné, Fernand Labori, qui avait plaidé quelques affaires retentissantes (pour les Jeunes Turcs, pour l’anarchiste Vaillant), procédurier ingénieux, orateur inégal, mais sonore et vigoureux, le geste large du théâtre, la parole vibrante. Sa qualité maîtresse était la fougue ; il la cultivait ; emporté de tempérament, il l’était encore par système. Avec cela, subtil, positif, avisé, et, sous un air de témérité, prudent et calculateur. Le prétoire, avec le trantran des affaires courantes, paraissait à cet esprit entreprenant, remuant et personnel un champ trop étroit pour ses talents et son ambition. Il avait été candidat à la députation dans la Marne, en 1898, porté par des républicains modérés et avec l’appui du parti catholique[1] ; il avait été battu par Mirman ; maintenant, il cherchait sa revanche et s’était offert au ministère pour affronter la lutte, à Reims, contre le chef du parti radical, Bourgeois. Labori n’avait pas encore la certitude que Dreyfus fût innocent[2] ; il inclinait seulement à le croire. Et, sentant les périls de la tâche qui lui était proposée, il n’accepta d’abord le dossier qu’à la condition, qui ne fut pas discutée par Mathieu, « de se faire couvrir par une commission d’office ». On appelle « avocats d’office » les avocats désignés (par le tribunal ou par le bâtonnier, aux parties pauvres ou qui n’ont pas trouvé de défen-

  1. Labori, Grande Revue du 1er novembre 1901.
  2. « Dès le début, par les pièces secrètes, par les formes violées, par les obstacles entassés devant l’œuvre de Justice, la question même de l’innocence de Dreyfus devenait, en quelque sorte, secondaire. Sur le fait, ma certitude ne fut complète qu’après les débats du procès Esterhazy. » (Même article.)