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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


mandants, deux lieutenants-colonels, deux colonels[1] et, pour président, le général de Luxer[2], Ils étaient tous certains de la trahison de Dreyfus, puisque le ministre de la Guerre lui-même, par trois fois, l’avait publiquement affirmée. Et non moins certains, dès lors, de l’innocence d’Esterhazy, car le bordereau ne peut pas être, à la fois, de l’un et de l’autre.

Nulle invitation spéciale à acquitter Esterhazy ne leur fut adressée ; à quoi bon ? L’ordre de recondamner Dreyfus a été donné à ces soldats par le chef de l’armée, du haut de la tribune, aux applaudissements des deux Chambres et de l’immense majorité du pays. L’ordre d’acquitter Esterhazy en résulte. Et les attendus de Saussier confirment l’ordre[3], précisent nettement le service que la haute armée attend d’eux : calmer l’opinion, ramener la paix dans les esprits, finir l’affaire.

Ce général, ces officiers s’apprêtent à commettre l’un des actes les plus détestables et les plus imbéciles du siècle. Quel jury, de Paris ou des départements, devant ce même acte, eût hésité ?

Sauf une poignée d’hommes, honnis, détestés, mais invincibles, la nation tout entière eût acquitté Esterhazy,

  1. Capitaines Cardon, du 28e régiment d’infanterie, et Rivals, du 12e d’artillerie ; lieutenants-colonels Marçy, du 1er régiment de génie, et Gaudelette, de la garde républicaine ; colonels Bougon, du 1er cuirassiers, et de Ramel, du 28e d’infanterie.
  2. Né le 21 juin 1843, capitaine pendant la guerre, colonel en 1892, général de brigade du 25 mai 1897.
  3. Procès Zola, I, 226, Pellieux : « Le conseil de guerre, je puis presque le dire, n’a pas eu à juger un accusé. Dans la justice militaire, c’est possible ; cela ne l’est pas, je crois, dans la justice civile. Le conseil n’a pas eu à juger un accusé formellement accusé, voilà ce que je veux dire. Esterhazy avait été l’objet d’une proposition d’ordonnance de non-lieu de la part du rapporteur et de la part du commissaire du gouvernement ; par conséquent, il s’est présenté, devant le conseil de guerre, muni de cette proposition d’ordonnance de non-lieu. »