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LE SYNDICAT


allemand, a vu sur la table du souverain, un annuaire annoté de sa main et un numéro de la Libre Parole avec, au crayon bleu, ces mots : « Le capitaine Dreyfus est pris[1]. »

Avec la légende des aveux, ces sottises, commentées par les « vrais » Français, reproduites par tous les journaux, raffermirent les convictions. On crée le fait en répétant qu’il existe. Décidément, le châtiment du juif est « trop bénin[2] » ; l’un de ses gardiens devrait bien avoir le courage de tirer sur lui[3].

On avouait d’ailleurs la forfaiture de Mercier, mais pour lui en faire gloire et pour mettre dans les esprits une terreur salutaire. En effet, il y a encore d’autres preuves, celles du dossier secret, mais si redoutables que la divulgation d’une seule de ces pièces eût précipité la France dans la guerre. Aujourd’hui encore, « l’incendie peut naître de l’étincelle qui est renfermée dans ce dossier ». En défiant le ministre de le produire, les amis du traître commettent un crime de plus. Quiconque aura l’indignité d’interroger le ministre à ce sujet, il le faudra abîmer « sous le mépris et les huées[4] ».

Supposez une opinion sans prévention ni préjugé d’aucune sorte ; eût-elle résisté à la vigueur et à la promptitude d’une telle offensive ? Tous ces journaux marchaient, comme au commandement, tels des régi-

  1. Dépêche (de Lille) du 21 novembre 1897. Tous les journaux reproduisirent l’article. Mertian (de Muller) en a déposé à Rennes II, 274. L’annotation, selon Mertian, était en allemand : Der Kapitain Dreyfus ist gefangen. Le secrétaire de l’Empereur, qui sait l’allemand, aurait écrit Hauptmann et non Kapitain, ertappt et non gefangen.
  2. Drumont, dans la Libre Parole du 19 novembre.
  3. Vervoort dans le Jour du 18.
  4. Judet, dans le Petit Journal du 19 ; de même Lepelletier dans l’Écho du 17 ; etc.