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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


du Gouvernement leur répliqua[1], mais l’avocat d’Esterhazy, comme s’il eût redouté de voir accueillir la requête des plaignants.

À l’unanimité, les conclusions furent rejetées, et, notamment, par ce motif que le conseil n’avait pas à statuer sur le cas de « l’ex-capitaine Dreyfus, justement et légalement condamné[2] ». Les juges eussent pu s’en tenir à cet arrêt : si Dreyfus est coupable, Esterhazy est innocent.

Le greffier appela les témoins, qui se tenaient dans une salle voisine. Pour la première fois[3], Picquart y vit Scheurer, Mathieu, Lucie Dreyfus. Il dit à Mathieu : « Vous n’avez pas à me remercier ; j’ai obéi à ma conscience[4]. » À Scheurer : » Je serai mis en prison, condamné, déporté. Peu m’importe. Je ferai mon devoir, Dreyfus est innocent, je le jure[5]. »

Les témoins militaires (sauf Bernheim) s’écartèrent de lui, méprisants, mais s’empressèrent autour de la fille Pays.

Il s’isola, près d’une fenêtre, « regardant courir les nuages au-dessus des arbres du vieux jardin » et, d’un geste fréquent, passant sa main sur son front[6].

C’était le premier contact direct entre les deux partis.

Picquart avait pratiqué ces hommes, ses chefs ou ses subordonnés d’hier ; mais il commençait seulement à les connaître ; ils étaient des inconnus pour Scheurer et, sauf Du Paty, pour Mathieu. Gonse circulait, ennuyé

  1. Les instructions lui furent données à la suite d’une conférence qui eut lieu entre Méline, le garde des Sceaux Milliard et Billot. Saussier fut « prévenu ». (Rennes, III, 487, Billot.)
  2. Réplique du commandant Hervieu ; jugement.
  3. Instr. Fabre, 67, Picquart ; 114, Scheurer.
  4. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  5. Mémoires de Scheurer.
  6. Varennes, dans l’Aurore du 12 février 1898.